Le shokushu, l’art de ces tentacules lubriques

Lorsque vient le doux nom de « l’érotisme japonais », la plupart d’entre vous confondront ce terme avec « déviance » et finiront par relier le hentai à diverses images rencontrées par hasard sur le net. Entre poitrines énormes et furry, il vous est sûrement arrivé de tomber sur des magnifiques et gluantes tentacules. Au-delà de fermer immédiatement votre navigateur (ou d’enregistrer le site dans vos favoris), vous vous êtes peut-être déjà demandé d’où pouvait venir un si étrange fantasme. Me voici pour vous aider à vous pencher davantage sur la question ; bien que mon amour pour le shokushu (le hentai tentacule) soit sans pareille, je vais y aller tout en douceur, c’est promis.

Pour toi public. Je te vends un peu de rêve.
Pour toi public. Je te vends un peu de rêve.

Des origines peu claires

La rumeur la plus répandue raconte que les tentacules sont apparues pour contrer la censure. En effet, au-delà de l’interdiction (légale !) de montrer des poils pubiens, un autre sévice voit le jour aux alentours des années 1950 : le bannissement de la vue d’un pénis, et plus loin encore : l’interdiction de réaliser une scène sensuelle et érotique dans un lit. C’est vrai que c’est assez pervers et déplacé, vous en conviendrez… Ceci est dû à l’occupation américaine durant l’ère Meiji (1868 – 1912). Possédant ces mêmes lois anti-sexe, et en plus d’envoyer ses militaires sur tout le territoire, les Etats-Unis tentent d’introduire brutalement leur culture et leurs mœurs. Bien évidemment, c’est le drame : le hentai n’a pas attendu sa popularisation en occident pour exister. De nombreux animateurs et mangakas tentent de se soulever contre cet interdit : le shokushu revient sur les devants de la scène. Toshio Maeda, leader de l’industrie pornographique nippone dans la fin des années 1980 et auteur du célèbre manga Demon Beast l’explique ainsi : « A l’époque pre-Urotsuki, il était illégal de créer des scènes sensuelles au lit. J’ai pensé que je devais faire quelque chose pour éviter de dessiner une scène érotique si banale. Alors j’ai juste inventé une créature. Avec des tentacules, et non un pénis, pour prétexte. Je pouvais dire, en guise d’excuse, ce n’est pas un pénis ; c’est juste une partie de la créature. Alors ce n’était pas obscène – pas illégal. »
Le manga Demon Beast est par ailleurs considéré comme LA référence dans ce que l’on peut appeler le shokushu moderne.

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En 1986 paraît la première apparition d’une tentacule perverse dans un anime : il s’agit d’un OAV nommé Guyver: Out of Control, adapté du manga Bio Booster Armor Guyver. Oui, on est assez loin des titres comme Shud up and suck my cock, et la couverture est beaucoup moins révélatrice. A la minute 25, un soldat féminin nommé Valcuria se retrouve encerclé et endommagé par Guyver sous sa forme tentaculaire, la pénétrant gaiement par tous les orifices naturellement existants chez une femme. On notera sa gentillesse pour ne pas en avoir créé d’autres. Par la suite, de nombreux autres titres font leur apparition, notamment aux Etats-Unis, comme Urotsukidoji, ou La blue girl. Ils sont les pionniers de la popularisation du shokushu dans le hentai qui explose dans les années 90 (on applaudit, s’il vous plaît).
Concluons ce paragraphe avec une autre citation de notre très cher Maeda : « Les tentacules peuvent pénétrer les femmes beaucoup plus facilement. Elles sont longues, flexibles et ne sont jamais fatiguées. En fin de compte, elles représentent ce dont rêvent beaucoup d’hommes ». Messieurs, c’est à méditer.

Une histoire plus ancienne

Je vous raconte la merveilleuse aventure des tentacules sur petit écran mais voilà : il ne s’agit pas de leur première apparition. Quoi, vous y avez cru ? Voyons… Les fantasmes ne datent pas de la dernière pluie. Beaucoup rapportent le shokushu à Lovecraft, dans le 19e/20e siècle. En effet, qu’est-ce que Cthulhu si ce n’est une grande créature dotée d’organes incroyablement bien taillés pour le hentai ? Il n’en faut pas plus pour fructifier l’imaginaire Japonais. Pourtant, si vous remontez encore un peu, vous arriverez en 1814 : Le rêve de la femme du pêcheur. Il s’agit d’une peinture d’Hokusai ; oui, c’est bien le mec à la vague. Son oeuvre agrémentée de poulpes est plus exactement un shunga, une estampe érotique. Le début des années 1800, ça remonte tout de même ! Pourtant, on peut admirer deux céphalopodes enlaçant amoureusement une femme se laissant submerger par le plaisir, le premier poulpe l’embrassant langoureusement en l’étreignant de ses tentacules, le deuxième lui caressant amoureusement le clitoris et la poitrine.

Vous le devinez : NSFW.
Vous le devinez : NSFW.

Soyons franc : s’il s’agit dans la peinture du rêve d’une femme de pêcheur, il est avant tout question du rêve d’un homme qui lui, a rêvé d’une femme. Inception. De là on peut largement réfléchir au fantasme sur le sens large : que représente-t-il ? La domination ? Ou plutôt la fierté, la confiance en soi ? L’idée de tout maîtriser, de tout toucher, ne rien oublier, n’omettre aucun plaisir possible chez la femme. La taille n’est pas une donnée, pas plus que l’épaisseur : c’est bien le songe d’une capacité à tout combler qui fait ce fantasme. Un plaisir ultime et interdit, l’accouplement d’une femme et d’une bête. Et parce qu’il est tabou, on le sert souvent sous le couvert d’un viol, d’une créature qui ne fait pas l’amour, qui ne fait pas de sexe : elle se nourrit, elle chasse, elle vit, et la femme subit, contrainte de subir un plaisir infini qu’aucun homme n’aurait pu lui donner. Il s’agit d’un acte physique et naturel, et pourtant contre-nature. Comme la créature de Lovecraft, le chaos se déchaîne et détruit la raison, l’entendement : c’est un action qui va bien au-delà d’un acte sexuel.
Il s’agit bien, en définitive, d’un fantasme masculin et non féminin, quand bien le deuxième cas n’est pas impossible, la preuve en est de cet article écrit par mes soins.

Art by PeterSiedlArt
Art by PeterSiedlArt

Dans les versions plus hardcore, et je vais essayer d’épargner les détails pour les plus innocents d’entre vous, la créature ne fait pas que violer la femme : elle devient son réceptacle, la reculant non plus au stade de poupée gonflable mais en couveuse ; toujours plus loin dans l’allégorie de la femme-objet, yay ! Les tentacules déposent leurs œufs dans l’utérus de leur victime, au point de gonfler leur ventre comme un ballon ; elle devient enceinte. C’est encore une fois assez japonais : remplacer la demoiselle pure en femme, en mère, tout en gardant sa pureté, sa chasteté (toute relative). Elle prend même un plaisir sexuel dans cet acte : à les recevoir, à les sortir. Le corps féminin est heureux de son statut d’objet : il remercierait presque son agresseur pour tous ces bons moments qu’il n’a pas demandé. Les hommes ont décidément beaucoup à vouloir compenser, il faut croire…

Un aparté

Les tentacules n’existent pas que dans le hentai. La pornographie se l’est aussi appropriée, évidemment. D’ailleurs, le terme hentai désigne littéralement « perversion », ou « transformation », « métamorphose ». On pourrait donc inclure la pornographie avec de vrais acteurs dans ce terme, tout comme l’inverse d’ailleurs, mais pour plus de clarté nous allons les séparer dans cet article.
Nous l’avons déjà expliqué, le shokushu est un symbole de domination des femmes japonaises, cherchant à démontrer un plaisir là où il n’est pas censé y en avoir. Naturellement, la pornographie nippone s’est lancée dans ce principe elle aussi, à tous les niveaux de fantasme : une femme refuse, puis se résigne à se laisser faire, pour finalement y prendre goût. C’est une forme dérivée de viol malheureusement trop acceptée sur ces rayons DVD de sexshop. L’homme abusif est une habitude, une normalité. Le shokushu ne fait que remplacer le mâle par une créature immonde, pour légitimer et accentuer le plaisir lié à cet acte. Bien évidemment, le plaisir de ce fantasme ne pouvait pas se cantonner à la 2D : il atteint également les hommes qui n’aiment que la vraie chair. C’est particulièrement vrai pour le public américain.

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Et ici, tout est dans le fantasme pur : on s’en moque bien du réalisme. Les tentacules sont souvent remplacées par des tuyaux en plastique repeints à l’arrachée et enfournés dans des demoiselles pudiques. Bien évidemment, on y croise aussi des choses plus glauques avec de vrais céphalopodes placés sur une actrice qui avale langoureusement l’une de ses tentacules. J’ai personnellement plus de mal avec la réalité : je prends du plaisir à imaginer et voir des choses irréelles, impossibles, ce qui me rassure également. Être confronté à la chose est un cran au dessus du dérangeant. Pourtant, il ne fait que légitimer davantage la démarche du shokushu, le tout sans montrer de phallus. Niquel ! Ca coûte moins cher qu’un acteur !
A savoir que cette pratique est cependant plus rare. Elle aurait d’ailleurs commencée non pas au Japon mais en Amérique dans les années 1970, dans un passage de The Dunwich Horror, de manière épisodique au même titre que Guyver: Out of Control. Une adaptation de Lovecraft, d’ailleurs : tiens donc…

Concluons *wink*

Comment résumer le shokushu ? Voici la version courte pour les moins courageux : il s’agit d’un mouvement hentai popularisé grâce, ou à cause, de l’occupation américaine. Ce fantasme s’exporte en grande partie là bas, ce qui contribue à sa popularité et l’enrichit, le faisant évoluer de manière plus moderne. Pourtant, il s’agit d’un fantasme plus ancien : on retrouve les premières shunga à tentacules dans les années 1800.
Le shokushu, c’est essayer de justifier un viol, d’assouvir un complexe d’infériorité. C’est le fantasme ultime de la domination sexuelle, de ne rien laisser au hasard, de pouvoir contenter une femme par tous les moyens ; et par tous les trous. C’est un plaisir visuel et passif : nul homme là dedans. On contemple. On se laisse faire. On apprécie, on se découvre une passion pour ces plaisirs inhumains. On tente de compenser ce qu’on a pas. Et parfois, on lâche quelques œufs. Haha ! Les plus sensibles, prenez ce sceau et vomissez. Les autres, à bientôt !…

Un dernier cadeau avant de partir. ;)
Un dernier cadeau avant de partir. 😉
Image de couverture par Makoto Aida

2 réflexions sur “Le shokushu, l’art de ces tentacules lubriques

  1. Pas mal, ça mérite qu’on regarde un peu ce qui se dit au Japon de ce type de représentations, que ce soit par ceux qui les produisent, ceux qui les regardent etc…

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    1. Je ne vais pas trop m’avancer parce que je me base sur mon ressenti plus que sur des faits, mais je ne pense pas que l’avis des Japonais sur le shokushu soit différent de l’avis des occidentaux. La plupart trouvent ça certainement trop pervers ou bizarre. C’est peut être plus dans la perception du fantasme (ce que les gens voient au travers) que ça diffère, pour ceux qui regardent justement ; en raison des différences culturelles.
      Ce qui est intéressant et que je n’ai pas abordé dans mon article, par contre, c’est la vision de ce fantasme par les femmes – naturellement différente de celle des hommes.

      Pour ceux qui produisent, j’imagine que c’est comme n’importe quelle industrie : du moment que ça rapporte… La vision de Maeda doit être un peu « dépassée » maintenant, vu l’évolution de la mentalité dans le secteur de l’animation (et de la censure dans laquelle il produisait, qui n’existe moins aujourd’hui). Mais elle reste vraie en majorité, je suppose.

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